Téléchargez la conférence de Stéphane Borel en Soule, enregistrée par Xiberoko Botza et Radio Mendililia
Invité par Ikas-Bi, le sociolinguiste Stéphane Borel, chercheur à l’Université de Genève était au Pays Basque, le 19 mars 2013 à Tardets, le 20 mars à Mauléon, le 21 mars à Lahonce. Voici les réponses qu’il apporte sur l’intérêt de l’enseignement bilingue français-basque et de l’apprentissage de la langue basque, dans un article paru au Journal du Pays Basque du 20 mars.
Qu’est-ce que la notion de contact entre langues et qu’apporte-elle à l’étude du bilinguisme ?
Stéphane Borel : Si l’on veut parler de bilinguisme familial ou scolaire, la notion de contact linguistique permet de partir du postulat suivant : il y a une langue sur laquelle on va construire la seconde. Le contact souligne également l’interrelation qui existe entre les langues. Autrement dit, les idiomes ne s’apprennent pas indépendamment les uns des autres et ne sont pas isolés. Ils cohabitent. Il y a alors contact.
Mais il faut dire qu’il y a beaucoup d’idées reçues et de mythes autour de cette notion de contact. Par exemple, si un locuteur dit “Eh be”, “bon”, etc., alors qu’il s’exprime en basque, on entend qu’il y a des traces du français : on assiste à un contact. Or, dans la perspective normative qu’adoptent souvent les acteurs du système éducatif, ces traces de contact de langues sont perçues négativement.
Cependant, dans une perspective didactique du bilinguisme, on perçoit cela comme une chose naturelle et cela nourrit, en outre, chacune des langues. Il est d’ailleurs possible de “didactiser” ce contact linguistique pour en faire un outil de progression pour l’apprentissage de langues par les enfants.
Dans le système immersif complet (ikastola) ou à parité horaire (Ikas-Bi), l’enfant reçoit un enseignement en langue basque et non pas uniquement de langue basque. Le succès du bilinguisme à l’école est celui qui se développe à travers des enseignements en langue, que ce soit le basque, l’occitan, le breton ou encore une autre langue. La langue de l’école est ainsi naturellement utilisée à des fins de communication.
Quels sont les avantages de l’enseignement bilingue pour les enfants ?
Stéphane Borel : L’enseignement bilingue consiste à enseigner des disciplines dites non linguistiques à travers une langue seconde. Cela apporte une forme d’intégration entre les savoirs disciplinaires et linguistiques. C’est alors que se jouent des transversalités, où le contact de langues permet, en étant “didactisé”, d’éclairer certains concepts mathématiques, biologiques, etc.
En d’autres termes, la discipline devient un prétexte afin de mettre en pratique les langues, qui à leur tour éclairent différemment des concepts disciplinaires avec leurs spécificités, car chaque langue découpe l’univers à sa façon.
Dans le cas du basque, la syntaxe de cette langue étant particulièrement défamiliarisante pour un enfant dont la langue maternelle est le français, on note que s’opère une restructuration de la première langue à partir de la seconde. Ce jeu de connexions multiples est très positif pour le développement intellectuel de l’enfant.
Existe-t-il des effets indésirables ?
Stéphane Borel : Il y a beaucoup de craintes liées à l’enseignement bilingue. Deux langues constituent-elles une surcharge scolaire pour l’enfant ? Prend-il du retard ? Mais, à vrai dire, ces craintes ne sont pas fondées.
Dans le pire des cas, il n’y a pas de différence significative entre les élèves qui suivent un cursus monolingue ou bilingue. En général, les élèves issus de sections bilingues obtiennent de meilleurs résultats. Prenons le cas des élèves qui effectuent un baccalauréat avec une option bilingue. Lorsqu’ils doivent passer l’épreuve de mathématiques, qu’ils ont suivie en langue régionale, on s’aperçoit que leurs résultats sont en moyenne un peu meilleurs que ceux des sections monolingues, alors même que l’examen est passé en français.
L’enseignement bilingue, en immersion totale ou partielle, permet-il de former des locuteurs complets dans les deux langues ?
Stéphane Borel : Le degré d’aboutissement des compétences est une question qui revient sans cesse. On a parfois de trop grandes exigences sur le degré de bilinguisme. On imagine que la langue seconde va être calquée ou clonée sur la première. On a souvent des attentes de double monolinguisme, ce qui n’est pas vraiment réalisable.
Un monolingue est-il un parfait locuteur ? Non, car on fait des erreurs dans sa langue maternelle, que l’on sache ou pas d’autres langues.
Les attentes reposent toujours sur ce concept de locuteur complet ou parfait. Or, on ne devrait pas en faire usage, car on ne l’est pas soi-même dans sa langue maternelle. Vous qui me posez des questions et vous exprimez dans un français correct, n’êtes pas un locuteur complet dans cette langue. Je parie que vous n’êtes pas capable de m’expliquer à la fois les finesses de la cuisine grecque et le fonctionnement d’un algorithme informatique en français.
C’est pourquoi je pense que la figure du locuteur complet est un mythe, que ce soit dans une ou deux langues.
Le développement des compétences en langues dans le contexte d’une asymétrie très forte entre le français, dominant, et le basque, plus résiduel, doit être proportionné aux attentes et besoins sociaux. Il en découle une répartition fonctionnelle en différents domaines : celui qui apprend les mathématiques en basque saura expliquer un problème, celui qui parle en basque avec des membres de sa famille saura s’exprimer sur des sujets de la vie quotidienne auquel il est confronté. On parle alors de langage sectoriel.
On peut ainsi développer un basque qui répond à des besoins spécifiques, alors que le français répondra à d’autres attentes.